Le silence, le poids des ans ancré tout au fond comme un bateau naufragé rouillé de plus en plus pesant, le silence appelle le silence, un mutisme contagieux. Une perte de parole, l’oubli des mots, une désincarnation sournoise de sa personnalité. S’effacer face au désabusement, puis la douleur au fond, j’y suis. La peur du mot, de son sens, de son interprétation, la lutte de deux êtres décortiquant chaque syllabe à en perdre le fil. Les heures s’égrainent dans la confrontation, dans la masturbation intellectuelle. Rendre les armes celles qui lient le cerveau à trop torturer les mots, les phrases, décortiquer l’âme jusqu’au vertige, l’épuisement, et le sommeil qui happe refoulant l’orgasme, un corps à bout ne pouvant plus répondre, ne pouvant plus jouir, rentrer dans la nuit le froid au sexe. Rentrer dans le sommeil, laisser les heures faire leur œuvre et se réveiller le cœur vide le sexe asséché. Une envie prendre chaque touche du clavier les jeter en l’air, les laisser retomber au sol dans un ordre bien précis, au secours !
La pression monte, la peur de l’explosion des mots, de la porte qui claque. Fuir dans le sommeil la séparation des corps, un vieux couple vivant leur dernière heure. La nuit n’est pas de tout repos, remonte un brassage de tous les silences, les absents frappent ma tête avant d’entrer et prennent possession de quelques cellules de mon cerveau alors que d’autres sont envahies de nos discours sans fin, sans amour, elles en font un film d’épouvante, un fou séquestre une folle dans son appartement, une nuit durant une torture morale, deux êtres hagards rampant laissent couler sur le carrelage un vomissement de mots, et ces fous les ravalent pour mieux se les resservir. Une camisole, calmer la peur. Mal de tête, palpitations du sang, sortir de l’enfer, ouvrir les yeux. Il fait nuit, deux corps séparés chacun dans sa cellule, dans sa propre chair. Je le sens, je l’entends enfoncer les touches du clavier, la musique dans ses oreilles grésille, mes sens en éveil je pourrais presque lire les mots qu’il couche sur l’écran, une vie ratée, l’avenir seul, la séparation, nous n’aurons pas d’enfant, un ton sarcastique.
Le sang tape mes tempes, j’ai mal. 4 heures du matin je fixe le mur, l’abat-jour, deux tableaux en émail de Limoges, une rose rouge desséchée devenue noire, cinq mois déjà, un cœur à vif, et les absents présents dans mon sommeil prennent maintenant possession de mon éveil. Une envie me lever, une photo en noir et blanc, je suis à Limoges dans une poussette, ma robe brodée offre au soleil mes cuisses potelées levées pour mieux toucher mes pieds, le jouet préféré du bébé qui découvre le mouvement. Deux enfants sont accrochés à cette poussette le centre de gravité d’une famille unie, une dame élégante en chapeau veille sa couvée, c’était le temps du bonheur. Des photos de couleurs des filles en compétition, miroir qui est la plus belle, et une mère au regard assombri éclaboussée par la jeunesse de ses enfants arrogants, aller au cimetière. Là encore un interdit, là encore attendre qu’ils reprennent place dans leur cellule du jour. Attendre 9 Heures du matin.
Il est 4 heures du matin, il a coupé l’ordinateur, je fais semblant de dormir, il n’est pas dupe, plus d’envie, ne pas parler, ne pas être touchée, ne pas devoir dire non, les mots le danger des mots qui séparent les corps. A force de te chercher je me suis perdue, tu me manques. Il est 9 heures du matin, je me lève, ne pas être touchée, je fuis le lit, une cassure, la cassure du sexe, le silence, un amour désincarné. Donne-moi de la légèreté je ne veux pas en rester là. Il suffit de peu, une main, une main tendue, une bouche sans maux. Il est 11 heures, l’heure de la réconciliation, j’ai mal à la tête, des cellules déshabitées de mes cauchemars.
.
.
.