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C’est drôle le hasard, quelques heures de sommeil seulement, les yeux s’ouvrent sur le silence, la bouche reste close, le pas hésite vers la fenêtre, la main soulève le rideau blanc et le clocher manifeste le réveil, comme s’il attendait la levée du corps, il est 9 heures, la nature est figée, les arbres tirent leurs bras amaigris vers un ciel laiteux sans tolérance comme l’aspirateur du cantonnier qui a avalé l’été.
Un homme en casquette passe sous les fenêtres un bouquet de fleurs à la main, fier il marche droit vers l’élue de son cœur, je le suis du regard jusqu’à perdre de vue ce papier argenté qui protège du gel sa déclaration d’amour, va-t-il la rejoindre par surprise sous les draps, je croise mes mains, les décroise, mes doigts sont comme ces tiges nues, ils ne savent pas quoi faire de l’espace.
Une femme au rythme de la vessie de son chien contourne les arbres dépouillés, frileuse son cou s’enfonce dans son pull col roulé, elle a l’air bossu enveloppée dans ce chandail trop grand pour elle, je la soupçonne de l’avoir piqué rapidement à son mari, la voilà en train de taper du pied sur la pelouse blanchie, mes pieds sur la moquette se recroquevillent de froid, je suis pourtant près du radiateur. Délicatement elle ensache les déjections de son caniche, j’ai mal au ventre.
Un survêtement bleu dans une démarche militaire avance à grandes enjambées la baguette de pain fraîche à la main, à pas lents je m’en vais vers la cuisine prendre un café, je n’ai pas de croissant. C’est dimanche nul doute, la rue est calme, les voitures grelottent le long des trottoirs, elles trempent leurs roues dans les caniveaux gelés. Je n’ai plus de pain à plonger dans le bol.
Dans le brouillard de mon réveil je sais, mais oui j’ai mal au cœur, non pas ce mal d’un trop plein d’abondance, il y a plusieurs jours que je ne mange presque plus, j’ai mal tout court. Mes rêves portent l’estampille de mes jours, le carcan de mes doutes. Mes yeux portent les stigmates de mes nuits, en croissant de lune un trait couleur arc-en-ciel mange mon visage. En noir et blanc des lacets de mots ont étranglé la nuit, haute en couleurs l’intonation de la voix prend du relief au petit matin. Mes rêves se sont envolés et me voilà nue comme ces arbres si laids chiffonnée de mes tortures nocturnes à regarder les autres vivre, à écouter s’égrainer quelques notes de musique. Dans la note de piano il y a des larmes, la touche noire comme un cercueil les a enveloppées et les voilà prisonnières.
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lutin - 18-11-2007