Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Un nouveau regard, les mots qui se détachent
Un nouveau regard, les mots qui se détachent
Publicité
Albums Photos
Archives
29 novembre 2007

La cour des miracles

mendiante_sculpture

D’où venez-vous Madame, vous que je viens de croiser, j’ai baissé les yeux, happée je  me suis retournée, on aurait pu lire dans mon regard cet étonnement, cet effroi, ce froid qui s’est glissé en moi. J’ai marché encore dans mes réflexions de l’instant tragique, me voilà en train de penser que j’avais atteint le nœud de la misère sur ce trottoir où les gens se bousculent sans se voir.

Que vous est-il arrivé Madame pour que je ne puisse pas faire autrement que m’en retourner vers votre corps déformé. Je garde les yeux baissés pour ne pas vous effaroucher et je vous examine penchée en équerre. Vous êtes si petite et fragile, votre jupe noire traîne sur le macadam mouillé, votre veste aussi noire que votre misère se déchire aux coudes, je les imagine pointus, je vous imagine décharnée derrière vos tissus. Sur votre tête vous portez un foulard gris comme le ciel, est-ce la couleur de vos cheveux ?  En bandeau une écharpe noire nouée derrière votre cou cache votre visage, et vous voilà tremblotante un gobelet blanc en plastique au bout d’un bras tendu en avant. A chaque pas indécis vous avancez lentement devant une bouche de métro, vous faites quelques mètres seulement et vous vous en retournez sur vos propres pas.

Sous mon parapluie à l’abri du crachin je vous étudie Madame, cherchant votre vérité. Les passants pressés et aveugles vous évitent comme le lépreux sa cloche à la main. Aviez-vous des chaussures je ne sais pas, on ne voyait rien de vous si ce n’est que cette apparence la béquille à la main traînant ce corps rachitique et délabré, vous aviez 100 ans Madame, vous sortiez de la cour des miracles.

Madame j’avais envie de vous prendre la main, il me semblait que ce soir était votre dernière nuit, je voulais être celle qui vous conduise dans un lit blanc, je voulais que votre tête s’endorme en paix sur un oreiller de plumes. J’ai tendu la main Madame, ma main nue voulait rassurer votre vie chancelante, je voulais être celle qui borde ce passage si douloureux, je voulais mettre mes yeux dans les vôtres le temps de passer de vie à trépas.

J’ai avancé la main vers vous Madame tout doucement pour ne pas vous effaroucher, je tremblais d’émotion dans la crainte de ne pas être à la hauteur, il me semblait que le moindre geste maladroit pouvait vous achever dans le bruit des voitures et je vous voulais un lieu de chaleur, une soupe comme dernier repas.

Je me suis penchée pour vous parler et plus je me courbais pour vous rejoindre plus votre corps se pliait comme si vous vouliez disparaître sous terre. Je cherchais vos yeux, vous fuyiez les miens. Votre bras tendu le gobelet vide à la main dans un sursaut s’est replié brusquement, votre autre main a remonté cette écharpe noire au plus haut de vos yeux, vous vouliez être transparente dans le noir de vos habits.

Vous Madame qui chanceliez il y a quelques minutes, vous  dont chaque geste était minutieusement ralenti par l’usure d’une vie de souffrance, je vous ai vu lever la tête pour chercher une aide sur le trottoir d’en face. J’ai suivi votre regard, en face il y avait une diseuse de bonne aventure. Madame vous n’étiez qu’une mascarade, une imposture.


Lutin – 29-11-2007

Publicité
Publicité
Commentaires
L
Merci Agnès, je m'éparpille, un besoin, un cri, une fuite, une envie, une libération, une aliénation, une urgence, j'ai soif, il me faut de l'eau vite...
Répondre
A
Très belle description, non seulement de la mendiante mais aussi des sentiments divers qui t'habitent...<br /> <br /> C'est très beau Lutin !<br /> <br /> PS : j'espère de tes nouvelles, un jour... ;-)
Répondre
L
Neurhone, merci, je suis ravie de te revoir.
Répondre
N
J'aime ce texte , il est tien et doit être pris comme tel c'est ce qui fait ça force ... ne change rien !!!!<br /> <br /> Bon week-end à toi
Répondre
L
Les détails m'intéressent bien sûr Adeline, ma messagerie t'est ouverte.
Répondre
Publicité