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Un nouveau regard, les mots qui se détachent
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20 février 2008

Sacs de femmes

 

 

 

page_3050

Les pieds défilent dans un chassé-croisé sur les trottoirs du bord de Seine, toutes sortes de chaussures ou de bottes à bout pointu ou rond, à talons hauts ou bas se faufilent au rythme de la femme d’affaires pressée. Il est 13 H, l’heure de manger sur le pouce un sandwich. Mes bottes lacées sont sous la table, jambes croisées j’ai posé mes pieds au chaud, je bois un chocolat viennois en vitrine, en tête l'homme qui m'a fait découvrir le café de l'Editeur. La mode est sur le macadam, les collants noirs opaques mettent en valeur les jambes qui à grands coups de ciseaux taillent la route. Le long manteau noir ouvert balance ses pans comme des drapeaux en bord de mer. L’écharpe nouée donne la direction du vent. Le blouson de cuir montre la mini jupe qui l’accompagne. Saint Michel est une immense couverture de Vogue dont on a animé les personnages. Je tourne les pages de gauche à droite, mon regard change de trottoir, j’attends que les corps disparaissent remplacés par d’autres. Mimétisme de la gestuelle la rue est un film qui tourne en boucle.

Elles se ressemblent ces femmes bariolées dans leur différence. Elles ont une chose en commun, le sac à main, tenu en bandoulière il tape la hanche, coincé sous le bras il cache ses secrets dans le manteau, l’anse à la main élégant il se balance, lanières croisées dans le dos il adhère aux mouvements.  Il y a le gros, le petit, le rond, le carré, le difforme mais chaque sac est une pochette surprise. Je suis là depuis une heure maintenant jouant au jeu, chercher l’intrus, j’attends la femme les bras ballants qui ne viendra pas. Dans cette peau de cuir ciré elles ont englouti leurs histoires dont elles ne se séparent que la nuit, peut-être parce qu’elles les retrouvent en rêve. J’imagine une immense pièce de théâtre improvisée, les sacs ouverts sur la place publique, chaque objet divulguant la raison de son enfermement, revendiquant sa liberté ou jalousant la poche la plus secrète du sac, celle où se cache l’amour le plus fort.

Il est 18 heures, la porte du café cachée par un lourd rideau de velours rouge s’ouvre souvent, les couples se retrouvent. J’observe cet homme non loin de ma table qui tient la main de sa compagne, sait-t-il s’il fait partie du capharnaüm qui règne dans le sac gonflé posé près de sa propriétaire ? Une femme regarde sa montre, elle ouvre son sac et se met du rouge à lèvres un regard critique dans le miroir. Dans le brouhaha de la salle mon portable se manifeste à mes pieds. Pressée je saisis sous la table mon sac à main, il est petit et lourd, il est en cuir noir, l’anse se met sur l’épaule et je peux ainsi coincer sous le bras mes petits secrets. Trop rempli sa fermeture éclair n’est pas fermée, je dois faire vite pour attraper le téléphone qui a la mauvaise manie de se cacher au fond. Nerveuse je le retourne maladroitement sur la table étalant aux yeux de mon voisinage ma personnalité de gribouilleuse, les petits papiers jaunis font un monticule disgracieux, les numéros de téléphone sans nom, les papiers officiels s’étalent entre l’aspirine, les carrés de sucre collectés, les stylos, le gloss de chez Guerlain, le centre Pompidou, le musée d’Orsay, Paris en couleurs, la bibliothèque et le dernier film vu au cinéma. Dans ce lieu clos où tous les yeux sont vissés sur moi on sait maintenant que je porte des lunettes pour lire, que mon groupe sanguin est B positif. Ma vie est un roman photos offert aux consommateurs du lieu. La serveuse gentille comprenant mon désarroi se baisse et ramasse quelques photos qui risquaient d’être piétinées. Je l’imagine avec un grand sac en bandoulière frappant la hanche.



Lutin – 20-02-2008

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Commentaires
L
Merci Chris, je ne connaissais pas. Je retiens surtout :<br /> "Elle était là dans son monde, son monde au beau milieu du monde<br /> Loin, ses yeux posés ailleurs, quelque part à l'intérieur"<br /> <br /> <br /> Je me retrouve dans ces mots, silencieuse, en retrait, j'aime ainsi me recueillir dans mon monde au beau milieu du monde que j'observe en même temps.
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C
Il fallait que je te le colle ce texte de Goldman qui fraternise avec le tien côté atmosphère de café. "Tout était dit". Bisou<br /> <br /> <br /> "Elle écrit seule à sa table et son café refroidit<br /> Quatre mètres infranchissables, un bar un après-midi<br /> J'avais rendez-vous je crois, j'avais pas le temps<br /> Avec un pape ou peut-être un président<br /> Mais la fille est jolie et les papes sont souvent patients<br /> <br /> Elle était là dans son monde, son monde au beau milieu du monde<br /> Loin, ses yeux posés ailleurs, quelque part à l'intérieur<br /> Plongée dans son livre, belle abandonnée<br /> En elle je lis tout ce qu'elle veut cacher<br /> <br /> Dans chacun de ses gestes un aveu, un secret dans chaque attitude<br /> Ses moindres facettes, trahie bien mieux que par de longues études<br /> Un pied se balance, une impatience, et c'est plus qu'un long discours<br /> Là, dans l'innocence et l'oubli<br /> Tout était dit<br /> <br /> On ne ment qu'avec des mots, des phrases qu'on nous fait apprendre<br /> On se promène en bateau, pleins de pseudo de contrebande<br /> On s'arrange on roule on glose on bienséance<br /> Mieux vaut de beaucoup se fier aux apparences<br /> Aux codes des corps, au langage de nos inconsciences<br /> <br /> Muette étrangère, silencieuse bavarde<br /> Presque familière, intime plus je te regarde<br /> <br /> Dans chacun de tes gestes un aveu, un secret dans chaque attitude<br /> Même la plus discrète ne peut mentir à tant de solitude<br /> Quand ta main cherche une cigarette c'est comme une confession<br /> Que tu me ferais à ton insu<br /> <br /> A ta façon de tourner les pages, moi j'en apprends bien davantage<br /> La moue de ta bouche est un langage, ton regard un témoignage<br /> Tes doigts dans tes cheveux s'attardent, quel explicite message<br /> Dans ton innocence absolue<br /> <br /> Et ce léger sourire au coin des lèvres c'est d'une telle indécence<br /> Il est temps de partir, elle se lève, évidente, transparente<br /> Sa façon de marcher dans mon rêve, son parfum qui s'évanouit<br /> Quand elle disparaît de ma vie<br /> Tout était dit<br /> Tout était dit
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L
Merci Viviane, la rue est une accumulation de romans mis en images, la rue est une pièce de théatre dont la scène est la terre.
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V
Quelle jolie page ...<br /> j'adore cette image de feuilleter la rue comme un livre<br /> bien trouvé!
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L
Merci Marianne, la prochaine fois peut-être que j'aborderai le sac de ces Messieurs, ou la poche de leurs vestes, il y en a tant qui baille d'un trop plein.
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