C'est la vie qui s'échappe et que l'on regarde, drôle d'image que l'on ne comprend pas et qui hypnotise au point qu'elle reste encrée de rouge, de noir, de blanc dans le cerveau. C'est le buste qui ne se gonfle plus, comme l'enfant dans le berceau endormi. Ce sont des yeux absents comme des yeux de verre, des prothèses pour handicapés. Ce sont les mains jointes, les infirmières vous les posent d'office, sans connnaître votre religion. Ce sont les pieds enrobés d'un ruban de tulle. La position est déjà faite pour la mise en bière, il faut que le corps rentre dans le cercueil. Tout est pensé tant que le corps est encore chaud. On en fait des peintures, des toiles remplies de noir et de blanc, on ne risque pas de se tromper, selon les religions une des deux couleurs est la bonne alors que la mort c'est le rouge, c'est le sang perdu, c'est le rouge baiser qui ne se posera plus sur la joue, c'est le mot que l'on n'entendra plus, c'est le mot papa, c'est le mot maman, que l'on ne prononcera plus jamais au présent, avec le sourire, dans l'attente des fêtes à venir, c'est le mot qui restera coincé au fond de la gorge, c'est le mot qui étouffera dans le refus de l'absence, c'est la trachée atrophiée qui se rétrécira dans l'angoisse. Au secours là haut, j'ai besoin de vous, m'entendez-vous ? dois-je crier, dois-je pleurer, dois-je prier, me mettre à genoux. A genoux je le suis souvent, vous riez là haut, jamais vous n'auriez imaginé cette position, ne vous moquez pas je le suis, j'ai tant compris dans votre silence me faisant mes questions et vos réponses. J'ai compris l'humilité les mains tendues dans le vide. Je ferme les yeux souvent pour me rapprocher de vous. Aujourd'hui est un jour de souffrance, un nerf que l'on retire du coeur, le sang que l'on ponctionne des entrailles, un assèchement total de la filiation, c'est la rupture d'un bassin de rétention, le béton va exploser en mille cailloux, un fleuve de mots, un torrent d'amour va déferler emportant sur son passage tous les livres vécus, dans les mains seulement des photos paralysées, figées, clic clac kodac faites un sourire à la dame. Aujourd'hui est à 20H30 la perte de ma création. S'ils avaient été morts avant ma naissance, je ne serai pas là à écrire leur absence. J'en ferai un livre, une histoire à trois tomes, eux, moi, et nous mon amour.
lutin 30-05-2008
Elle cherchait quoi tout à l’heure, la pelure d’orange sur le radiateur, le souvenir de l’arôme distillant sous ses narines les images de la petite fille qui jouait à la balle. Elle collait son nez à la fenêtre, soufflait sur le carreau, elle admirait l’étendue de la buée qui progressivement rétrécissait. En cachette elle laissait l’empreinte de ses lèvres, elle se disait, j’ai embrassé un garçon. Vite il fallait effacer la marque, une femme aux cheveux noirs allait gronder cette petite dévergondée.
C’est écrit quelque part dans un livre, là où les images jaunies sentent bon l’écorce du fruit.
Non vous n’êtes pas morts dans les pages de l’histoire. Je suis cet enfant transporté au creux de la page, petite figurine entre la robe et l’imperméable au Champ de Juillet où le Dimanche je faisais du poney autour du bassin alors que d'autres enfants plongeaient leur tête dans le fleuve imaginé. Je grattais le sable avec mon râteau comme l'ongle gratte maintenant le coin de la photo. Non il n’y a rien en dessous, seul mon imaginaire et l’arôme de l’orange.
Un silence, deux grosses larmes sur la feuille, l’hématome ne se résorbe pas. Je mange le fruit et avale les souvenirs. Pourquoi ce poids lourd sur mon cœur, j’ai deux petits trous en son centre. Mon amour tend tes mains pour obturer la brèche, comme l'enfant jadis approche tes lèvres et souffle...