Lévitation
Je suis dans la chambre juste à côté, la porte entrebâillée laisse filtrer la lumière de l’écran bleu, cliquetis des touches, ventilation de la carcasse qui n’en peut plus de la profusion des mots, j’entends tes mots chuchotés, j’entends le froid de ta main, la crispation de ta nuque, tu as quitté le jour, tu as quitté la nuit, tu es entre deux mondes, ni mort ni vivant, un vêtement vide sur la chaise, le corps en suspension, un ovni gravitant autour de son cerveau, un manteau de feu quand l’esprit va plus vite que les doigts sur le clavier, un volcan en effervescence laissant couler sa lave dans le débordement des heures de la nuit. Tu es l’écrivain qui fera de son lecteur un prisonnier de l’image, le tortionnaire de son cerveau.
Dans le noir je te vois flairant ma respiration sous les draps, tu as baissé la télévision, mis le casque sur tes oreilles. Il est trois heures quinze du matin, les aiguilles de la montre se superposent à l’horizontal, il est l’heure de te coucher. Electrisé tu refuses l’avancée de la nuit, la dureté de la sonnerie du matin, tu espères l’extension de cet état d’apesanteur. Je me détends la tête sur l’oreiller, les yeux fermés, j’entends le vent, j’entends ton souffle, j’entends la pluie tomber, j’entends les hallebardes que tu laisses tomber en caractères de feu liés les uns aux autres, une tempête en toi qui semble ne jamais pouvoir s’arrêter. Trois heures trente, une aiguille du réveil pique du nez le tien aussi sur le clavier, je t’écoute t’essouffler dans ta relecture, ta voix perd de la vitesse dans le triangle à angle droit de l’horloge et de l’écran, contre les volets le vent perd de sa puissance, à croire que tu faisais corps avec les éléments.
Dernière lutte tu ouvres le frigo, mange un yaourt, il n’y a plus de jus d’orange, tu vas aux toilettes, encore un regard sur l’ordinateur, derniers cliquetis Ctrl S – Ctrl C – Ctrl V, couperet d’une nuit en lévitation, tu donnes en pâture ce qui a secoué tes tripes plusieurs heures durant, tu seras le bourreau du lecteur ficelé à son écran. Dans le noir je devine tes gestes, tu enlèves ton slip, ton tee shirt, tes gestes sont lents, tu respires calmement, lentement tu soulèves la couette, tu te glisses contre moi, me prends par la taille, tu fais le mort pour ne pas me réveiller à quatre heures du matin. La pluie tape contre les volets, tes doigts ne bougent plus, tu deviens mort dans ton sommeil, à l’heure du glas dans trois heures le réveil sera sans pitié, le lecteur aussi.
Lutin – 29-10-2007